Autorisations environnementales et dispense d'enquête publique
En cette période de « grand débat national », alors qu’il n’est question dans les médias que de participation citoyenne, le décret n° 2018-1217 du 24 décembre 2018 fait tâche. Il a d’ailleurs été pris après une consultation électronique du public au cours de laquelle 2768 personnes ont exprimé un avis défavorable et seulement 3 un avis favorable…
Sur la base de l’article 56 de la loi dite ESSOC (loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat dans une société de confiance), ce décret organise une expérimentation dans les régions de Bretagne et des Hauts-de-France. Jusqu’au 10 août 2021 (trois ans après la promulgation de ladite loi ESSOC), les projets soumis à autorisation environnementale y sont dispensés d’enquête publique s’ils ont déjà fait l’objet d’une concertation préalable caractérisée par l’intervention d’un « garant » désigné par la Commission nationale du débat public.
Cette expérimentation réduit sensiblement les possibilités dont dispose le public pour participer à la prise de décisions. Ne devant porter à l’origine que sur certains projets agricoles (cf. l’étude d’impact du projet de loi), le champ d’application de cette expérimentation a été étendu par un amendement du gouvernement à tous les projets soumis à autorisation environnementale (installations classées soumises à autorisation ; installations, ouvrages, travaux et aménagements soumis à autorisation au titre de la police de l’eau). En Bretagne et dans les Hauts-de-France, ils peuvent tous « bénéficier » de la dispense d’enquête publique, qu’il s’agisse de projets agricoles ou industriels.
Cette dispense n’est cependant possible que si le maître d’ouvrage – c’est-à-dire l’auteur du projet – a choisi d’engager une procédure dite de concertation préalable. Pendant une durée comprise entre 15 jours et 3 mois, il s’agit de permettre en amont une participation du public afin de débattre de l’opportunité du projet, à un moment où ce projet n’est pas censé être achevé (cf. L’article L. 121-15-1 du Code de l’environnement).
Existant depuis une ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016, cette procédure de concertation préalable insérée dans le Code de l’environnement est distincte de la concertation préalable du Code de l’urbanisme. Facultative, elle n’a, semble-t-il, tout simplement jamais été mise en œuvre jusqu'à présent (cf. l’étude d’impact du projet de loi). Le but poursuivi par le gouvernement est d’inciter les auteurs de projets à utiliser cette faculté en les dispensant alors d’enquête publique.
Cette solution est profondément discutable dans la mesure où les deux procédures n’ont ni le même objet ni les mêmes effets.
En 1er lieu, la concertation préalable permet seulement de débattre d’un avant-projet dont les contours sont esquissés. L’enquête publique permet par contre de prendre connaissance du dossier soumis à autorisation environnementale.
En 2ème lieu, la concertation préalable visée dans l’expérimentation n’est caractérisée que par l’intervention d’un « garant » désigné par la Commission nationale du débat public. Mais son rôle est confiné dans une stricte neutralité. Il est censé garantir la bonne tenue des débats et en dresser le bilan sans donner la moindre appréciation sur le bien-fondé du projet. Dans une enquête publique, le commissaire enquêteur n’est pas seulement présent pour attester de la régularité du déroulement de l’enquête. Il est tenu d’apprécier le projet et de rendre un avis motivé sur son bien-fondé.
En 3ème lieu, les effets attachés à une concertation préalable sont dérisoires. Il suffit qu’elle se soit déroulée et que le « garant » en ait dressé le bilan. Tel n’est pas le cas pour les enquêtes publiques. Si le commissaire enquêteur rend un avis défavorable, des tiers peuvent aisément contester l’autorisation du projet par la voie d’un référé suspension devant le Tribunal administratif (article L. 521-1 du Code de justice administrative). Ils doivent seulement démontrer l’existence d’un moyen de droit de nature à faire naître sérieux sur la légalité de cette autorisation. Du fait de l’avis défavorable du commissaire, ils n’ont pas à prouver la moindre urgence (article L. 123-16 du Code de l’environnement). Et la jurisprudence assimile à un avis défavorable du commissaire enquêteur un avis favorable comprenant une réserve qui n’aurait pas été levée ultérieurement.
En 4ème lieu, l’expérimentation remplace l’enquête publique par une simple mise à disposition du public, essentiellement par voie électronique (internet). Ce choix est éminemment discutable compte tenu de la « double fracture numérique », territoriale et sociale, dénoncée par le Défenseur des droits dans son rapport intitulé « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics » (janvier 2019).
La pertinence de cette expérimentation est donc discutable. On pourrait même douter de sa constitutionnalité. L’article 7 de la Charte de l’environnement ne dispose-t-il pas que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
En tout état de cause, nul ne sait si les auteurs de projets industriels ou agricoles de Bretagne et des Hauts-de-France vont ou non utiliser la voie ouverte par cette expérimentation. Car c’est seulement s’ils choisissent d’organiser une concertation préalable avec « garant » que l’enquête publique n’y est momentanément plus obligatoire. En l’absence de concertation préalable, l’enquête publique y reste obligatoire pour toute autorisation environnementale.
Compte tenu des incertitudes caractérisant cette expérimentation, le contentieux n’est pas prêt de se tarir dans le ressort des Tribunaux administratifs d’Amiens, de Lille et de Rennes. Et les avocats d’en débattre dans leurs mémoires.
Docteur en droit public, Maître de conférences en droit public, Arnauld Noury est avocat au Barreau de Lille.
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